Introduction
Voici une suite à mes articles 30 minutes pour expliquer la réforme de la filiation et Pourquoi telle réforme de la filiation plutôt qu’une autre ? Réponse à Marc Pichard : une présentation rapide des trois grands types (« grands types » au sens où ils m’apparaissent paradigmatiques) de réforme possible du droit de la filiation, telle qu’elle pourrait résulter d’une ouverture de la PMA hétérologue aux couples de femmes. Chaque type est illustré par un schéma, dans la continuation des schémas de mon premier article.
Précisons d’emblée que si je souligne les travers et les manques des deux premiers modèles, il n’est pas douteux que sous la seule considération de la situation d’un couple de femmes recourant à une PMA avec don de sperme médicalisé, toute réforme marque un progrès par rapport à la situation actuelle du droit. En effet, l’état présent de la loi oblige des femmes à se marier et à adopter leurs propres enfants si elles veulent voir leur filiation reconnue : dans cette situation, il n’est guère difficile de faire mieux.
Cela pose toutefois la question du but d’une réforme du droit de la filiation :
- faire une réforme minimale qui prendra en compte une forme d’accès à l’homoparentalité parmi d’autres et pas plus, et qui se voudra sans effet sur la majorité de la société (soit une stratégie assimilationniste),
- ou faire une réforme qui a certes pour première ambition de traduire dans le droit la réalité multiple des familles LGBTparentales, mais aussi au-delà, d’apporter une contribution à la société dans son ensemble. Comme le pacs, au départ pensé pour les couples de même sexe, a finalement bénéficié à toute la société, qui s’en est trouvée meilleure.
Évidemment mon approche est celle de la deuxième branche de l’alternative. Je vous recommande si cette réflexion vous intéresse un article de Gwen Fauchois, « Pour en finir avec blablabla l’égalité », du 22 mars 2014.
Rappel : le modèle actuel
Rappelons brièvement ce que je disais du système français actuel pour l’établissement de la filiation par PMA hétérologue dans 30 minutes pour expliquer la réforme de la filiation : tout d’abord, la loi (art. 311-20 du Code civil) institue la règle de l’irrecevabilité de tout contentieux de filiation en cas d’insémination avec don (IAD). Ensuite, elle fait appel au concept de « consentement », notion fondamentale en droit civil (alors que le Code civil québécois parle de « projet parental » dans ce cas). Le couple doit consentir au don de gamètes devant un juge ou un notaire. Après le consentement donné et l’IAD effectuée, l’homme utilise les modes habituels d’établissement de la filiation : présomption s’il est marié, reconnaissance s’il ne l’est pas. S’il se soustrait à la reconnaissance, « sa paternité est judiciairement déclarée » (ce qui par principe, sauf décision contraire du juge, le prive de l’autorité parentale). Il est aussi protégé, en cas de don de sperme, contre l’accusation d’avoir provoqué un abandon d’enfant (par le donneur, empêché de s’établir père).
Dans ce système, en cas de PMA dans un couple de femmes, la mère est celle qui accouche, donc pour une des femmes il n’y a pas de problème à l’établissement de sa filiation. Et pour l’autre ? Elle peut adopter l’enfant de son épouse.
Je n’en dis pas plus, et renvoie à mon précédent billet pour plus de détails et des explications sur le contexte. Retenons pour simplifier que la femme du couple n’a qu’un mode d’établissement de la filiation (le simple fait de l’accouchement) et que l’homme du couple en a deux, selon qu’il est ou non marié avec la mère. S’il s’agit de deux femmes, celle qui n’a pas accouché doit être mariée à la mère pour pouvoir adopter ses enfants. Il n’est pas prévu que plus de deux personnes exercent définitivement l’autorité parentale, et, si le droit français n’exige plus la stérilisation pour le changement de la mention du sexe à l’état civil[1] (admettant implicitement qu’un homme puisse être enceint, qu’une femme puisse inséminer), le droit de la filiation en est resté à une conception antérieure.
Le modèle belge
Dans ce modèle (qui n’est pas spécifique à la Belgique — on pourra le retrouver peu ou prou en Espagne hors Catalogne ou au Québec — mais le Code civil belge est si cousin du Code civil français que les comparaisons sont aisées — c’est du reste pour cela que j’ai fait le schéma belge identique au schéma français), il s’agit d’opérer le moins de modifications possible à la lettre du droit tout en étendant les dispositifs actuels aux couples de femmes : ainsi, il est conservé un mode d’établissement différent si le couple est marié ou non. L’extension de la présomption de paternité (en une présomption de parenté ou de comaternité), pour les personnes mariées donc, peut avoir deux sens :
- soit il s’agit d’une présomption « large » : l’enfant né d’une des personnes du couple est automatiquement l’enfant des deux, quel que soit le mode de conception. Cela n’est à ma connaissance appliquée pleinement, de nos jours, dans aucun pays, mais cela permettrait d’étendre l’établissement de la filiation à d’autres situations que la stricte PMA hétérologue : les PMA artisanales, notamment. Le corolaire négatif d’un établissement automatique est l’absence de liberté pour l’une des parties : un membre du couple peut se voir imposer par l’autre une filiation non désirée. Ce point fut d’ailleurs objecté par Christiane Taubira à une proposition de réforme de la filiation lors des débats de la loi mariage : « dans votre amendement, la conjointe n’a pas le choix. La disposition est automatique comme dans la présomption de paternité. La différence, c’est que dans la présomption de paternité, en cas de contentieux il y a une possibilité de contestation fondée sur des éléments biologiques, alors que dans le cas que vous évoquez, nous n’aurions pas d’éléments pour fonder la contestation de la conjointe qui pourrait dire qu’elle ne souhaite pas assurer la deuxième filiation[2] ».
- soit il s’agit d’une présomption « restreinte » : c’est alors le seul consentement au don (consentement requis et recueilli lors d’une PMA hétérologue, PMA nécessairement médicalisée et encadrée juridiquement), qui fonde l’établissement de la filiation. Il n’y a aucune souplesse avec ce mode d’établissement, limité à une seule technique d’accès à la parentalité des familles LGBTparentales, mais l’objection formulée à la présomption « large » précédente ne tient pas dans ce cadre. C’est la solution choisie par le droit belge.
Le modèle belge n’encourage bien sûr pas à réfléchir sur la question du sens qu’il pourrait y avoir à maintenir une distinction entre les modes d’établissement de la filiation selon le statut marital : cette question est laissée de côté. Je ne reprendrai pas ici tous les arguments exposés dans mon livre contre le maintien d’un mode d’établissement de la filiation propre au mariage (la présomption), mais je trouve significatif que le droit belge, s’étant utilement doté d’une disposition empêchant un homme coupable de viol sur la personne de la mère, et non marié à celle-ci, de reconnaitre l’enfant de cette femme, n’a pas su rendre cette règle valable pour un couple marié, où la présomption de paternité s’applique, même en cas de viol conjugal[3].
L’extension de la reconnaissance, le mode d’établissement de la filiation pour les personnes non mariées, ne pose pas à priori pas de problème particulier. Pourtant Nicole Gallus souligne qu’en cas de procréation médicalement assistée avec tiers donneur masculin au sein d’un couple de sexe différent non marié, si la mère refuse de consentir à la reconnaissance par son partenaire (en droit belge, la reconnaissance par le parent putatif — le père, généralement — est en effet soumise à l’autorisation du parent légal — la mère, généralement), celui-ci ne pourra obtenir un jugement l’autorisant à passer outre un refus de consentement dès lors que sa paternité biologique est, par définition, absente[4].
Je note avec satisfaction que, sur ce point, la solution que Nicole Gallus préconise correspond parfaitement à la mienne (voir le chapitre sur le modèle volontariste) : « seule une réforme du droit de la filiation permettrait de sortir de ces contradictions, en introduisant dans le Code civil une disposition précisant que le consentement à la procréation médicalement assistée vaut, dans tous les cas, reconnaissance de filiation et en assurant le caractère irrévocable du consentement dès la conception de l’enfant, par l’interdiction de toute contestation si ce dernier est bien né de la procréation médicalement assistée consentie[5] ».
Le modèle catalan
Le modèle appliqué en Catalogne, et fondé sur les articles 235-8 et 235-13 du livre II du Code civil de Catalogne, corresponds en bonne partie au modèle proposé dans le rapport d’Irène Théry et Anne-Marie Leroyer[6]. À une différence près qu’il faut noter : en Catalogne (comme en France avant le 1er juillet 2006), les femmes mariées et non mariées n’établissent pas, hors PMA hétérologue, leur filiation de la même façon. J’ai gardé sur mon schéma la situation catalane, mais pour bien comprendre la proposition Théry-Leroyer et comment elle se rattache au modèle catalan (et ce que celui-ci a de paradigmatique), il convient de comprendre que dans ce modèle, il s’agit, comme avec le modèle belge, de garder la filiation du plus grand nombre dans ses grandes lignes, mais cette fois-ci non pas en intégrant la filiation par PMA hétérologue au modèle existant, mais au contraire en la plaçant à part (par un mode d’établissement sui generis de la filiation), en la distinguant. En ce qui concerne le schéma, la colonne de gauche, décrivant la filiation hors PMA, est donc à remplacer par la réalité actuelle du droit français.
Comme on le voit, il s’agit de distinguer les situations et les individus, selon un schéma ancien dans la pensée d’Irène Théry, schéma dont j’ai fait la critique dans un article d’Implications philosophiques[7].
Un des bénéfices de cette approche est de ne plus utiliser des distinctions surannées entre parents mariés ou non, ou d’un mode distinct d’établissement de la filiation selon le sexe légal : les catégories ne sont conservées dans la colonne droite du schéma qu’à fin de comparaison. Mais seulement pour les parents ayant eu recours à la PMA hétérologue : comme avec le modèle belge, la question du sens qu’il pourrait y avoir à maintenir une distinction entre les modes d’établissement de la filiation selon le statut marital pour l’ensemble de la population est laissée de côté. C’est même constitutif de cette approche : une situation parmi les plus riches de questionnement pour l’ordre de la filiation tout entier est remisée dans une catégorie à part, où son rôle subversif potentiel est ainsi contenu.
Ce modèle est tout aussi rigide que le modèle belge : il est tout autant limité à une seule technique d’accès à la parentalité des familles LGBTparentales (la PMA hétérologue, dans sa seule dimension médicalisée et contrôlée par l’État), et l’on voit mal ses bénéfices par rapport à un modèle belge corrigé dans le sens indiqué par Nicole Gallus. Et pour le reste, chacun et chacune appréciera l’opportunité de la distinction entre les filiations qui est au fondement de ce modèle.
Le modèle volontariste
Le modèle que j’ai appelé volontariste n’est implémenté dans aucun pays, mais il correspond à plusieurs propositions de réforme radicale de la filiation, dont notamment Daniel Borrillo avait donné un cahier des charges assez détaillé[8], et dont j’ai écrit la proposition de loi qui est au cœur de mon livre.
Pour comprendre le schéma, il faut voir que là aussi, comme pour la colonne de droite du modèle catalan, les catégories ne sont conservées dans le schéma qu’à fin de comparaison : l’important est que toute séparation soit supprimée, et que donc il n’y pas de mode d’établissement de la filiation distinct entre entre parents mariés ou non, ou selon le sexe légal. Il n’y a même pas de restriction à priori du nombre de parents. Car ce modèle généralise l’usage de la reconnaissance (autrefois réservée aux filiations hors mariage) en en faisant le mécanisme d’établissement universel par défaut.
Comme il s’agit d’une filiation indifférente au sexe légal du parent, au nombre de parents, ou encore à leur situation matrimoniale ou simplement de couple, elle protège tous les enfants, y compris en situation de transparentalité comme de pluriparentalité.
Mon article d’Implications philosophiques[9] en expose l’articulation idéologique.
Du côté associatif
L’association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL) avait interrogé les candidates et candidats à l’élection présidentielle de 2017 pour obtenir un engagement à soutenir « dans le cadre du mariage : élargir la présomption de paternité à une présomption de parenté » (sans plus de précision quant à la nature exacte de cette présomption, large ou restreinte) et « hors mariage : élargir la déclaration de paternité à une présomption de parenté pour un alignement par symétrie avec les couples hétérosexuels », précisant qu’il s’agit d’une « déclaration en parenté anticipée, au moment de la déclaration de naissance ou après avec l’accord de la mère qui accouche ». Bien entendu, il y a là confusion dans les termes décrivant l’actuel établissement de la filiation hors mariage (« déclaration de paternité », « présomption de parenté » au lieu de reconnaissance), et surtout l’accord de la mère fait référence au droit belge (sauf à assumer des droits et des devoirs distincts entre homoparents et hétéroparents). Mais les éléments (notamment la distinction entre mariage et hors-mariage) sont suffisamment réunis pour identifier ici un soutien au « modèle belge », assimilationniste, présenté ci-devant. Toutefois, l’association s’est déclarée satisfaite de recevoir des propositions de « mesures spécifiques » qu’elle juge complémentaires (dont, précisément, l’abolition de la présomption…)[10].
L’association Les Enfants d’Arc en Ciel revendique pour sa part un « établissement du lien de filiation avec les parents non statutaires par reconnaissance volontaire en mairie[11] », ce qui la rapproche du modèle volontariste présenté ici (avertissement de transparence : je suis membre de cette association).
Mise à jour du 12 juillet 2018
Ce mercredi 11 juillet, le Conseil d’État a rendu publique son étude Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ? (adoptée le 28 juin 2018 et remise au Premier ministre le 6 juillet 2018). Elle contient notamment quatre propositions pour l’établissement de la filiation au cas de l’ouverture de la PMA en France aux couples de femmes :
- Ne rien faire (c’est-à-dire qu’il resterait toujours l’adoption de l’enfant du conjoint).
- Le modèle belge.
- Le modèle catalan.
- Le modèle catalan pour les seuls couples de femmes.
C’est cette dernière proposition qui rencontre la faveur du Conseil d’État. Dans un sens, proposer de n’appliquer le modèle catalan qu’aux seuls couples de femmes n’est que l’extension du défaut pervers fondamental de ce modèle : il s’agit de distinguer toujours plus. Ainsi, l’acte de naissance de l’enfant né par PMA au sein d’un couple de femmes mentionnerait, directement ou indirectement, le mode de conception, alors qu’un enfant né par PMA dans un couple de sexe différent ne le mentionnerait pas.
Espérons que la prise de conscience des enjeux sera à la hauteur : repousser les propositions de distinguer toujours plus, sans pour autant se rabattre par facilité sur le modèle belge, pour vraiment proposer un modèle à même de protéger toutes les familles : le modèle volontariste.
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